Mes Voisins Les Yamada de Isao Takahata
Le 25 juin de cette année sortait en France Le Conte De La Pricesse Kaguya, premier film depuis plus d’une décennie de Isao Takahata, et peut-être dernière production du studio Ghibli.
Compagnon de route de Miyazaki, Takahata est néanmoins une personne à part au sein de Ghibli, tant par son parcours que par ses méthodes de travail. Si graphiquement les films de Isao Takahata sont très divers, le réalisateur aimant pousser son équipe dans des directions nouvelles à chaque films, c’est avant tout par le ton qu’il se distingue de ses collègues. En effet, là où les réalisation de Miyazaki se caractérisent par une approche souvent romantique voir lyrique, le travail de Takahata se veut plus naturaliste. Ce dernier essaye en effet de décrire une certaine réalité du monde en étant plus proche de ses personnages dans leur quotidienneté, même lorsqu’il s’agit de parler de blaireaux aux testicules démesurées.
Cette dimension quasiment documentaire est d’ailleurs parfaitement assumée par le réalisateur du Tombeau Des Lucioles : “Je suis convaincu que l’animation est le meilleur moyen de montrer le réel. Avec les prises de vues réelles, on ne peut pas montrer objectivement la réalité, parce qu’il y a nécessairement reconstitution, malgré les apparences.” Propos recueillis par Gilles Ciment le 4 juin 1995.
Mes Voisins Les Yamada, sorti au Japon en 1999 et en 2001 en France, illustre parfaitement cette volonté de capturer la nature profonde de son sujet, en l’occurrence une famille japonaise lambda. Il s’agit ici de l’adaptation du manga du même nom publié entre 1991 et 1993 et initialement paru dans le journal Asahi Shinbun. Écrit et illustré par Hisaichi Ishii, le manga se présente sous la forme de strips de trois cases et, à la manière de Calvin & Hobbes, les aventures des Yamada suivent les saisons de l’année et les moment importants de la vie des habitants de l’archipel. Satyriques, les gags reposent essentiellement sur les travers des Japonais. La dimension sociologique et ethnologique de ce manga en est d’ailleurs le versant le plus intéressant, bien que parfois obscur pour le lecteur non japonais (on vous recommande à ce sujet notre podcast consacré à l’animation).
Le films suit donc les péripéties de la famille Yamada, couple marié, deux enfants et une belle mère, et raconte les petits problèmes quotidiens (que faire à manger ? qui aura le contrôle de la télécommande) et les grandes étapes de la vie (enfants, mariages, premier amour) distillés avec une tendresse teinté d’une pointe d’amertume.
Le travail d’adaptation est parfaitement exécuté : plutôt que de plaquer les gags du manga sur une trame servant de fil rouge, le film suit la structure de l’oeuvre originale en développant certains strips jusqu’à dépasser le simple gag et créer ainsi de réelles émotions. Takahata se permet également des changements de tons assez radicaux d’une saynète à l’autre : par exemple si l’arrivée des enfants est présentée sous la forme d’un conte narré par la cadette de la famille, l’altercation entre le père et des jeunes à moto plonge, pour un instant, le film dans un univers beaucoup plus sombre.
Autre exemple de la capacité du réalisateur à changer l’ambiance de son histoire, le style graphique. Si il reproduit le plus souvent les traits simples et stylisés de la bande dessinée originale, les décors se limitant le plus souvent à des fonds blancs, le film change parfois radicalement d’ambiance graphique. Ainsi comme il le fera de manière plus poussée dans Le Conte De La Pricesse Kaguya, Takahata n’hésite pas à radicalement changer de style en fonction de la scène, allant jusqu’à un trait pratiquement réaliste. Pourtant il ne s’agit pas de s’adapter au propos mais plus à l’ambiance de la scène et au sentiment des personnages. “Il y a là des dimensions à la fois de psychologie et d’énergie intérieure qui sont en jeu. Par exemple, lorsque vous représentez une réalité par le trait et au travers d’un mouvement relativement rapide, vous allez forcément essayer d’avoir une exécution rapide dans le dessin pour être capable de suivre l’élan de ce que vous représentez. Et c’est tout ceci qui est en jeu dans ce que l’on appelle le croquis. A l’inverse, lorsque vous représentez un mouvement plus lent, voire même un objet immobile, votre dessin va être plus précis, plus lent, plus posé.” Courte-Focale, 2014.
A travers ces différents tableaux ayant chacun leur personnalité propre, Takahata parvient à bâtir un kaléidoscope de ce que peut être le quotidien des familles japonaise à la fin du XXème siècle. C’est donc en variant le plus souvent possible le ton, le style et le genre que Takahata parvient à nous livrer ce portrait tendre et mélancolique, même si profondément optimiste, de ses contemporains.
Pour rester dans le monde du cinéma d’animation, nous vous invitons à jeter un œil sur nos épisodes du Ciné-club de M. Bobine consacrés à l’Europe de Hayao Miyazaki, au Monde de Némo de Andrew Stanton à Vampire Hunter D : Bloodlust de Yoshiaki Kawajiri et à Happy Feet de George Miller. Nous avons également consacré un podcast à l’animation pour les plus grands.
Lucas MARIO